Le Trône de Fer (A Game Of Thrones - Song Of Ice And Fire) est le titre du premier volet de la saga éponyme de George R.R. Martin, qui a reçu le prix locus en 1997. En France, ce roman a été découpé en deux volumes d'une trentaine de chapitres : Le Trône de Fer et Le Donjon Rouge. Malgré ce petit désagrément, qui ne peut s'expliquer que pour des raisons de marketing, force est de reconnaître que l'éditeur a fait un effort pour séparer intelligemment le récit original. Cela se doit d'être souligné, car pour d'autres romans de fantasy, il n'en est pas toujours ainsi (comme le prouve La Compagnie Noire de Glenn Cook où l'éditeur scinde les romans arbitrairement, bien souvent à la moitié de l'oeuvre originale). En effet, à la fin du premier tome de la version française, le lecteur reste sur un suspens haletant, un véritable cliffhanger, à la manière du dernier épisode d'une saison de série télévisée, pour inciter fortement les téléspectateurs à être au rendez-vous la saison suivante. Et bien là, le même procédé est employé avec maestria, le lecteur n'a qu'une envie, se jeter sur Le Donjon Rouge pour connaître la suite et fin de ce premier tome de la saga, qui est tout simplement magistrale.
L'auteur développe deux intrigues à travers son premier roman. L'intrigue principale se noue autour du "jeu des Trônes", où
les familles les plus puissantes du Royaume des Sept Couronnes, les maisons Stark et Lannister - la glace et le feu - se livrent une
lutte sans merci pour le pouvoir. Ce premier volume permet à l'auteur de poser les bases de sa saga.
Pour nous immerger directement dans ce monde complexe qu'est Le Trône de Fer, George R.R. Martin nous propose de suivre
lord Eddard Stark (Ned), personnage principal, qui ignore, tout comme le lecteur, le fonctionnement de la Cour, et surtout à qui
se fier, en raison notamment de son manque d'expérience. Les chapitres consacrés à Eddard permettent donc à l'auteur de
développer son intrigue principale. C'est plutôt à travers les points de vue de sa femme et ses filles, que l'on en apprend plus sur
la psychologie de Ned. Ce premier tour de force de George.R.R. Martin permet au lecteur de s'impliquer émotionnellement dans le
récit, en s'identifiant rapidement à Eddard Stark. Nous pourrions faire la même analyse avec le personnage de Tyrion Lannister,
dit le Lutin. Nain et doté d'un physique ingrat, sa seule arme est son intelligence. Objet des railleries de la part des autres personnages
et souvent sous-estimé et mésestimé par son entourage, l'auteur parvient à nous faire apprécier ce personnage. Le lecteur se prend
rapidement d'affection pour Tyrion, à l'instar de Ned.
En nous proposant de suivre son intrigue du point de vue des enfants d la maison Stark et de la jeune Daenerys Targaryen, l'auteur
renforce le réalisme de son oeuvre, même s'il est vrai que son roman appartient au genre fantasy. Ainsi, l'auteur nous fait vivre certains
pans de son récit avec l'innocence et les préoccupations triviales des jeunes, du moins au départ, car les épreuves qu'ils vont devoir
affronter vont les faire mûrir rapidement, comme le montre l'exemple de Daenerys, mariée à treize ans par son grand frère à un seigneur
de guerre trentenaire, et enceinte à quatorze ans. Les enfants sont donc au coeur du jeu des trônes. Dès lors, ils vont apprendre
rapidement, et souvent à leurs dépens, qu'ils vivent dans un monde cruel, et qu'ils sont les pions de leurs parents sur l'échiquier du
jeu des Trônes. Puis, suivre l'action à travers leurs yeux a pour avantage de simplifier les intrigues, puisque ceux-ci ont des
raisonnements moins alambiqués que leurs aînés. Par leur biais, l'auteur clarifie son intrigue et offre au lecteur une sorte de résumé,
afin que l'on ne perde pas le fil de l'histoire.
L'histoire en elle-même est classique. Les familles les plus puissantes intriguent pour s'emparer du pouvoir. Complots, manipulations, alliances et trahisons sont au coeur de ce premier roman. Pour les protagonistes, tous les moyens sont bons pour parvenir à leurs fins, et tous les coups sont permis... L'intérêt de cette saga réside plutôt dans le fait que l'auteur décrit de manière très réaliste le jeu des pouvoirs à travers des personnages crédibles. A priori, les protagonistes peuvent nous sembler caricaturaux. Au départ seulement. Les Stark (la Glace) sont décrits comme des hommes d'honneur, s'évertuant à se comporter de manière loyale et vertueuse, gouvernés par de grands principes et plaçant l'honneur au-dessus de tout. Contrairement aux Lannisters (Le Feu), dévorés d'ambition, voulant à tout prix le pouvoir, et étant prêt à tout pour l'obtenir - A Song of Ice and Fire. Mais l'auteur tempère très vite ces postulats de départ pour les prendre à contre-pied et placer ses personnages dans des situations où leurs principes sont mis à rudes épreuves, et où ils doivent faire des choix cornéliens pour s'en sortir du mieux possible... à moindre perte.
Outre le fait que les personnages soient réalistes (notamment en raison de leurs ambiguïtés), l'intrigue est également, tout à fait
crédible. C'est le jeu des pouvoirs. Les maisons se livrent une guerre sans merci pour le Trône de Fer. Dans toute guerre, il y a des
vainqueurs et des vaincus. Des otages et des rançons. Le cadre est donc très réaliste. De plus, George R.R. Martin renforce la
crédibilité et l'intérêt de son oeuvre en recourant à des flash back (sous forme de rêves ou de souvenirs) pour révéler des pans
d'histoire du Royaume des Sept Couronnes ou des moments clefs de la vie des personnages, comme le duel ayant opposé Brandon
Stark (frère d'Eddard) et Lord Baelish Petyr (dit Littlefinger) pour le coeur de Catelyn Tully de Vivesaigues. Cela permet de mieux
comprendre les enjeux, les luttes de pouvoir et les rivalités qui existent entre ces familles, et qui peuvent remonter à plusieurs
générations.
Puis ce qui est appréciable dans A Game of Thrones, c'est le fait que les personnages principaux ne soient pas intouchables, à la
différence de nombreux autres récits. Les protagonistes principaux peuvent être éliminés à tout instant. D'ailleurs, l'auteur n'hésite
pas à nous choquer en faisant disparaître des personnages principaux, pour relancer l'intérêt de son récit et celui du lecteur. Il n'y a
pas de héros surpuissant qui se sort indemne de toutes les situations et qui fait preuve d'une intelligence supérieure par rapport aux
autres personnes avec lesquels il interagit. Dès lors, même les protagonistes, pourtant décrits comme les plus fines lames du royaume
ne s'en sortent pas toujours indemnes. Ils peuvent alors souffrir de blessures et de cicatrices plus ou moins graves, dont certaines
les marqueront et les handicaperont pour le restant de leurs jours.
Et il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un roman de fantasy. Les codes du genre sont donc respectés, puisque la magie et les bêtes
mythologiques, telles que loup-garou et autres dragons, sont certes présentes, mais utilisées avec parcimonie par l'auteur. La magie
n'est que secondaire dans le roman, et se révèle donc mystérieuse, inquiétante voire terrifiante. D'ailleurs, recourir à la magie n'est
pas sans risques et sans conséquences, puisque le prix à payer est généralement très lourd. Certains protagonistes en font l'amère
expérience. Ainsi, le récit est plus équilibré et l'auteur n'a pas recours de manière intempestive à la magie, moyen pourtant pratique,
pour sortir ses personnages de situations inextricables, de sorte que A Game of Thrones ne tombe jamais dans la facilité.
Enfin, pour ceux à qui ce roman pourrait paraître immoral, car il l'est à bien des égards, autant l'avouer, il importe de préciser qu'il n'en est pas
moins pourvu d'une certaine dose de moralité, en ce sens où tous les personnages sont responsables de leurs actes, et qu'ils subissent
inéluctablement les conséquences de leurs actes. Ce récit, bien qu'étant une fiction, dépeint néanmoins de manière assez crédible une
guerre sans merci entre des hommes et des femmes pour s'accaparer le pouvoir. Ainsi, ce roman peut pousser certains lecteurs à
approfondir certains pans de notre histoire pour mieux comprendre la conduite de certains dirigeants politiques, passés ou présents...
A Game of Thrones, outre le fait de nous divertir, peut également nous donner matière à réfléchir.
Le style de l'auteur est simple mais redoutablement efficace. Martin ne cherche pas à faire de belles tournures. Il n'emploie pas les
adverbes de manière intempestive. Sa manière d'écrire est donc visuelle et permet au lecteur de se représenter assez facilement les
divers protagonistes et les lieux où se déroulent l'intrigue. Même si les descriptions sont souvent sommaires, cela permet au lecteur
de jouir d'une liberté plus grande dans la construction de son propre imaginaire, de sorte que le déroulement des événements n'est
pas ralentit par d'interminables descriptions, travers de bon nombre d'écrivains.
L'auteur n'est pas au service du lecteur et n'est pas là pour nous faire plaisir, mais avant tout pour servir son intrigue. Les personnages
principaux ne sont pas les plus forts. Ce ne sont pas les héros au grand coeur, qui n'ont jamais peur, et qui gagnent à tous les coups.
Dans A Game Of Thrones, les personnages principaux meurent. Il est vrai qu'en général, les auteurs s'attachent à leurs personnages
et répugnent à les éliminer, ou tout du moins à les abîmer. Ce n'est pas le cas dans l'oeuvre de G.R.R. Martin. Tous les personnages en
prennent pour leur grade, et ce il faut bien le reconnaître, pour notre plus grand plaisir. Certains pourraient trouver le style de l'auteur
cru dans ses descriptions, et être choqués. Autant vous avertir, dans ce roman, il est question de guerres, donc de meurtres, massacres
et viols, les victimes étant aussi bien des adultes que des enfants. Les familles puissantes ne sont pas épargnées, et dépeintes avec
leurs tares, puisque des sujets tabous comme l'inceste et la consanguinité sont aussi traités par l'auteur. Même si ces sujets sont à
priori choquants, il est important de préciser qu'ils n'ont pas pour objet premier de choquer le lecteur, mais bien de servir l'intrigue,
car tout est justifié dans l'univers de Martin, rien n'est jamais gratuit.
Bien que l'auteur mène son récit à la troisième personne du singulier, il parvient néanmoins à impliquer émotionnellement le lecteur,
en nous faisant part des réflexions des personnages (en italique), comme s'il écrivait à la première personne. L'auteur parvient donc
à nous faire apprécier certains protagonistes, même ceux qui dans un premier temps peuvent nous sembler antipathiques, comme le
montre l'évolution de Sansa, la fille d'Eddard Stark.
Enfin, les dialogues entre les personnages sont jubilatoires. L'auteur nous fait ressentir l'intensité de certaines scènes, à travers les
conversations des personnages qui servent parfaitement le récit. Les dialogues sont travaillés et ne sont pas là pour expliquer d'une
autre manière ce que l'auteur a déjà écrit précédemment. L'humour est un ingrédient très présent dans le récit et se révèle être
indispensable pour détendre l'atmosphère et apporter une bonne dose de second degré à l'oeuvre, en dédramatisant certaines situations.
Les répliques de Tyrion Lannister sont à ce titre tout simplement géniales. La plupart du temps, l'humour est noir, empreint de cynisme,
et ce pour notre plus grande joie.
Seule ombre au tableau, les fautes d'impressions intempestives dans la version française. Cela gâche un peu le plaisir de lecture, car ce
genre d'erreurs agresse les yeux du lecteur. Un travail plus soigné de l'éditeur aurait été appréciable, d'autant que ces romans ont
été publiés une décennie après leur première édition aux Etats-Unis, donc le travail aurait pu être un peu plus rigoureux de ce point
de vue.
L'auteur nous propose de suivre au cours de ce premier roman huit personnages qui se retrouvent, bon gré mal gré, au coeur du jeu du
trône de Fer.
Nous suivons six personnages qui appartiennent à la maison Stark : Eddard (seigneur de Winterfell), Catelyn Tully de Vivesaigues
(son épouse), Brandon, Arya et Sansa (ses enfants nés de son mariage avec Catelyn) et Jon Snow (le bâtard d'Eddard Stark). Au
départ du récit, le clan Stark est soudé. Cependant, cette petite communauté va rapidement se disloquer aux quatre coins du Royaume
des Sept Couronnes. Les cinq premiers sont plongés au coeur de l'intrigue du jeu des trônes, alors que l'arc concernant Jon est plus
périphérique à cette intrigue principale, et constitue à lui seul le second fil rouge de ce récit. Jon est le sujet d'une histoire propre,
dont les bases sont posées dans A Game of Thrones (Le Trône de Fer et Le Donjon Rouge), mais dont l'intrigue est plus développée
dans A Clash of Kings, le deuxième roman de la saga du Trône de Fer.
Ensuite, l'auteur nous propose de nous intéresser aux tribulations de deux autres personnages, membres de maisons différentes.
Tout d'abord, Tyrion Lannister (dit le Lutin), un nain qui use de sa parole comme d'une arme redoutable, et doté d'un humour ravageur,
ce qui en fait l'un des personnages les plus marquants et attachants de la saga. Il est le fils de Tywin Lannister, patriarche de la maison
Lannister (ayant le Lion pour emblème) et frère de la Reine Cersei (mariée à Robert Baratheon) et de Jaime Lannister (jumeau de Cersei).
Le personnage de Tyrion permet à l'auteur d'offrir au lecteur un autre point de vue du jeu des trônes, celui des Lannister, la maison
rivale des Stark. Tyrion va ainsi se retrouver, malgré lui, être au coeur d'une machination et devra redoubler de ruse pour échapper à
ceux qui veulent sa perte. Puis, dans les Cités Libres, à l'Est du Royaume des Sept Couronnes, nous suivons les pérégrinations de
Vaserys, le prince légitime au Trône de Fer, et celles de sa soeur Daenerys. Vaserys, qui tentent de nouer une alliance politique et
militaire avec le khal Drogo, le chef des Dothraki (peuple autochtone des Cités Libres composé de farouches guerriers), dans le but de
récupérer son trône, usurpé par le Roi Baratheon. L'arc construit autour de Daenerys fait partie intégrante de l'intrigue principale du jeu
des trônes, même si l'action se déroule à l'extérieur du Royaume des Sept Couronnes.
En consacrant chaque chapitre à un personnage particulier, G.R.R. Martin suscite constamment notre intérêt, sans jamais nous lasser.
C'est un moyen habile de développer de manière cohérente son intrigue, en évitant de surcharger son récit avec des révélations
successives et des retournements de situations intempestifs. L'auteur alterne ainsi les chapitres destinés au développement de
l'histoire et à la résolution de certaines intrigues, avec des chapitres que l'on pourrait qualifier de plus intimistes, et se concentrant
davantage sur l'évolution psychologique et physiologique des personnages principaux, de sorte que les huit protagonistes gagnent
en complexité et en ambiguïté au fil du récit, et deviennent dès lors encore plus intéressants. Cet intérêt est poussé à son paroxysme
lorsque l'auteur pousse ses personnages à faire des choix cornéliens, choix qui ont nécessairement des conséquences considérables
pour la suite du récit.
George R.R. Martin nous livre donc une oeuvre passionnante à travers ce premier roman. A découvrir sans plus tarder, mais autant
vous avertir, une fois que vous aurez commencé à lire la série Le Trône de Fer, vous ne pourrez plus vous arrêter...