Ça vous rappelle quelque chose ? Si c’est le cas, vous pouvez passez cette introduction de John Long Silver, sinon, laisser-moi éclairer votre lanterne…
En 1883 paru un livre qui va être à l’origine de notre perception actuelle, ainsi qu’à sa philosophie associée, du mot « pirate». Treasure Island / Lîle au Trésor (dont le titre original était The Sea Cook), par Robert Louis Stevenson, va marquer l’imaginaire de générations entières, jusqu’au récent succès de Pirates des Caraïbes au cinéma, qui rend hommage à l’œuvre plusieurs fois.
L’île au Trésor, c’est l’aventure avec un grand A, où l’on embarque avec le jeune Jim Howkins et un équipage au complet et plein de surprises, pour une quête dont on sait que tous ne reviendront pas.
Alors quid de Long John Silver ? C’est le cuisinier de l’expédition.
Nous n’allons pas résumer L’île au Trésor, il faut l’avoir lu, vu ou entendu (j’ai expérimenté les livres audio en écoutant cette œuvre, et, si vous avez un bon niveau de compréhension orale en anglais, je vous recommande chaudement d’essayer, en plus c’est libre ! c.f. les liens en bas de page).
Sachez seulement pour ceux qui ne connaîtraient pas encore qu’il n’est pas obligatoire de connaître L’île au Trésor pour lire la bande dessinée Long John Silver (ce fut mon cas). En fait, la bédé est d’une telle qualité que sans s’en rendre compte on en vient irrémédiablement à vouloir en savoir plus sur ce fameux Long John.
L’histoire se déroule après les évènements de L’île au Trésor et reprend deux de ses personnages-clés, le docteur Livesey et Long John. Xavier Dorison prend le temps de poser son histoire, à la manière de R.L. Stevenson, ce qui nous donne un premier tome tome d’introduction où l’action se déroule sur la terre ferme, où les éléments de l’intrigue se mettent en place au fur et à mesure, ce qui permet justement aux novices de suivre aisément. Pour les initiés, ils pourront profiter d’une écriture soignée respectueuse de l’œuvre originale, et découvrir avec plaisir la nouvelle aventure concoctée par Dorison et Lauffray (c.f. l’interview plus bas).
Le scénario pourrait se résumer ainsi : Lady Vivian Hastings n’a plus de nouvelles de son mari depuis qu’il a embarqué pour une expéditions aux Amériques. Le croyant mort, elle s’apprête à se re-marier, pas spécialement par amour mais plutôt pour éviter la ruine et la honte. Cependant ses plans vont brusquement tomber à l’eau, l’entraînant dans une spirale infernale. En effet le mari en question semble toujours vivant, et a besoin de toute la fortune familiale. Ruinée, dépossédée de ses biens, la pauvre Lady Vivian a de quoi s’inquiéter pour le futur proche ! Elle va finalement décider de rejoindre son mari, faute de trouver meilleure solution. Il est supposé avoir découvert la légendaire cité interdite de Guyanacapac, dont les réserves en or s’annoncent colossales. Voilà qui aiderait grandement Mme Hasting…
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la dame a du caractère et ne renonce pas facilement. Elle va réussir à s’attirer l’empathie du docteur, et l’intérêt du vieux pirate.
Mathieu Lauffray nous offre des couvertures splendides, et un intérieur efficace. Ne vous attendez pas à trouver des cases avec la même qualité graphique que celles des couvertures. En ce sens vous seriez déçu, surtout si vous passez après Requiem, Arawn ou encore La Licorne. Néanmoins, bien que les dessins soient plus « traditionnels » dans leur niveau de détail, ils sont tout de même de très bonne facture et d’une redoutable efficacité. Les visages sont expressifs, et c’est toujours un plaisir que de contempler et d’essayer d’analyser les expressions de Long John Silver. Au final après quelques pages on s’imprègne bien du récit et on s’aperçoit que les premières impressions de déceptions n’étaient en fait absolument pas justifiées. En effet ce coté « sketch » permet de faire passer tout un panel d’émotions, allant de la curiosité au frisson. De plus le choix des couleurs est excellent et l’ensemble contribue à donner une atmosphère lourde et intense au récit.
J’ajouterais que le second tome, dont l’action se déroule en mer, est encore plus réussi. On en arrive au point où parfois le « manque » de détails favorise en fait l’imaginaire, nous permettant de nous faire notre propre idée du déroulement d’une scène (je pense au duel à la fin du tome 2, jouissif).
On ne peut que remercier Xavier Dorison et Mathieu Lauffray d’un si bon travail sur cette suite de la plus culte des histoires de pirates. Le résultat est à la hauteur des attentes, on a là une œuvre qui a du potentiel, avec une histoire qui peut sembler « classique », (le sujet de la piraterie ayant été tellement décliné) mais pourvu de tous les éléments pour vous faire passer un grand moment d’aventure ! Enfin, pour ceux qui ont déjà lu L’Île au Trésor, on se demande comment Long John va « gérer » la situation cette fois, la donne étant dès le départ sensiblement différente. Réponse en mai 2010 avec la sortie du tome 3 !
Interview réalisée par Popi pour le site Resurrection the Evil's nest
Votre serviteur : Quand sortira le tome 3 de Long John Silver ?
Mathieu Lauffray : Il devrait être dispo autour de Mai 2010.
VS : L'île au Trésor a fait l'objet de nombreuses retranscriptions à l'écran.
Avez-vous été contactés par des studios de production cinématographique ?
JF : Oui mais généralement pour nous dire que ce serait trop cher à développer et qu'ils seraient intéressés par d'autres projets !
VS : Quels furent tes choix pour le dessin ? Quelles techniques utilises-tu ?
JF : Sur ce projet je tenais à donner un aspect aussi organique que possible. Je voulais éviter de contrôler à l'excès le
rendu car notre priorité est de traduire l'émotion du récit. Un graphisme trop clinique peut faciliter la lecture mais aussi passer sous silence
une grande partie du spectre émotionnel. J'ai donc opté pour de l'encrage et de la mise en couleur selon les techniques traditionnelles, plume,
pinceau et aquarelle. Pas d'ordinateur.
VS : J'ai pu lire que tu n'hésites pas à demander des modifications sur le scénario et à débattre avec Xavier Dorison.
Est-ce à propos de la trame principale ou les actions / réactions des personnages ?
JF : Oui je crois que l'on parle même de co-écriture dans de cas de cette série. D'ailleurs je suis crédité comme co-scénariste.
Je fais ce métier car j'aime faire les choses comme je pense qu'elles doivent être faites.
VS : Est-tu un boucanier dans l'âme ?
JF : Disons qu'avec le temps je me dis qu'on ne fait pas grand chose par hasard. Si j'ai choisi un métier où je n'ai à obéir à personne
pour ne suivre que mes inspirations cela doit venir de quelque part. J'agis par idéal, j'aime emmerder les autres avec mes idéaux, je tente de
vivre en les suivant et me révolte fréquemment en contemplant le monde qui m'entoure. Je vous laisse conclure.
VS : Qu'est-ce que ça fait de choisir l'arrêt de la collaboration sur une BD (c.f. Le Serment de l'Ambre) ?
JF : C'est un moment difficile. Pour moi le métier d'auteur de BD est l'un des plus complexe qui soit. On invente, on crée, on met en
scène, on s'accapare le travail d'une équipe entière. Forcement le fait d'abandonner une série signifie que tout cela a été fait en pure perte. Dans le cas du
Serment, je suis parti car je ne me retrouvais pas dans la volonté « second degré » que désirait lui donner le scénariste à l'origine du projet. Plutôt que de me
lancer dans un bras de fer j'ai trouvé plus correct de le laisser poursuivre dans l'esprit qu'il souhaitait avec quelqu'un d'autre. Mais je le répète, ces décisions ne sont pas
faciles car il s'agissait de renoncer à un tout un univers, toute une mythologie dans laquelle je m'étais bien investi.
VS : Tu viens de rendre officiel sur BDGest' la rachat de la série Prophet par Soleil. Comment s'est passée ton expérience chez Les Humanos ?
JF : Oui Prophet a été racheté. Ma relation avec les Humanos s'est faite autour de deux phénomènes. L'un lié à l'incroyable catalogue métal qui avait bercé
mon adolescence, l'autre était la cordiale invitation de Sébastien Gnaedig que j'avais rencontré
chez Delcourt. Ce dernier était alors devenu éditeur aux humanos et m'avait contacté. L'ensemble était tout à fait attrayant. Mais au fil du temps les équipes ont
changé et il ne restait plus rien de la maison dans laquelle j'avais signé pourtant peu de temps auparavant. Cela me rappelle un conseil qu'un auteur m'avait alors
donné : "on ne signe pas avec une personne mais avec une boite". Sur la durée, c'est tout à fait exact.
VS : Sur ton site on peut voir certains travaux pour un projet secret. Les sketchs sont impressionnants... Quelle est la technique employée
pour obtenir un tel résultat ?
JF : Merci, je me suis mis récemment à la peinture numérique. Tout cela a été réalisé sur Photoshop dans un soucis de simplicité et de gain de temps mais
soyons clair il ne s'agit que de bricolage. Le véritable travail se fait en manuel, sur toile ou sur papier.